Ton retour sera une fête. Disons que tu es partie avec le troupeau chercher de nouveaux pâturages. Tu es partie drapée de ton voile de lin noir, tu as mis tes colliers et tes bracelets d'argent, on peut entendre sur la piste le tintement des grelots, des sonnailles.

C'est la fête, la belle Tahira s'en va aux pâturages. C'est la plus forte pour dénicher les parcelles d'herbes cachées derrière les dunes. Les brebis reviendront grasses. Quand Tahira s'en va tous les hommes pleurent. Parce que tous les hommes l'aiment Tahira. Certains vont l'épier quand elle danse sous la lune. Parce qu'elle est fille de la lune. Soeur des étoiles. Elle est née du ciel et d'une rose des sables. Alors elle danse sous la lune dans des voiles transparents. Et la lumière blanche couvre son corps qui apparaît comme un halo de mystère.

Tahira s'en va avec son troupeau et ses chiens, elle part à travers les sables en s'appuyant sur son grand bâton, elle est une ombre presque fantasmagorique entre le sable et l'horizon. Et les youyous qu'elle lance mettent en joie toutes ses brebis, et les youyous qu'elle lance s'accrochent un long moment à la mémoire de ceux qui l'on vu partir.

Parce que Tahira est la plus belle. Même des rois ont voulu l'épouser. Ils ont déposé à ses pieds des fortunes d'or, mais Tahira se dérobait, avec des rires dans la gorge et des sourires dans les yeux. Car elle a un amoureux secret. Il n'est pas prince, il n'est pas berger, c'est un vagabond qui parle dans le vent, il sait le chant des puits, et les aurores frileuses, il sait les constellations et les étoiles filantes. Il n'habite nul part, sauf dans ses mots, c'est sa seule maison, son seul chemin. Et il aime Tahira, la belle bergère, celle qui est née du ciel et d'une mélancolie.

Quand le hasard fait qu'au coin d'une dune il se rencontrent, ils attendent la nuit. Et quand lui chante, elle se met à danser. Pour lui seul elle enlève ses voiles. Pour elle seule, il choisit ses mots les plus beaux. Et ça dure toute la nuit. Chant contre danse. Danse contre chant. Mouvements, ombres, lumières. Elle tourne autour de lui, l'enivrant de ses parfums de femme, lui, il lui vole des baisers, sur le bout des doigts, en haut du bras, ou sur sa trempe droite. Il frôle son ventre ou ses seins, il caresse à peine ses cuisses, et il ne sent que son souffle. Et au petit matin ils s'enroulent dans leurs rêves les plus chauds et s'endorment comme des enfants sacrés.

                                         Le vagabond