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La montagne et mes rêves 0/11 (Voile de lin noir)

Voile de lin noir

 

J'étais repartie

avec le troupeau

nu-pieds comme de coutume

sur le chemin qui monte

vers  des pentes herbées

avec mon Berger

et nos chiens:

Aheyâd  (la bohémiene)

et son jeune  chiot Afa (le sublime),

le plus beau et le plus solide de la portée

il jappait entre mes jambes

et mordillait les franges de mon vêtement noir!

Chez nous, le noir n'ést  pas couleur de deuil.

-

Je riais souvent,

repoussant sa langue gourmande

qui tentait de me lécher les orteils!

-

Ce temps n'est guère propice aux longues

stations ou pauses

l'air est déjà bien vif!

-

On ne peut dormir "à la belle"

il faut trouver un abri pour la nuit,

assez tôt, lorsque le soleil se couche.

-

Mon berger les connaît tous.

Il nous fait avancer vivement,

de son bon pas, si long,

pour que nous les atteignions

avant l'obscurité et le froid qui perce.

-

Là, nous nous serrons

les uns contre les autres

après avoir mangé la galette

et bu le thé.

Bêtes contre hommes.

Même chaleur

mêmes odeurs.

-

Parfois un vagabond pris par la nuit

se joint à nous.

Mon berger lui fait place,

et partage avec lui nos frugales subsides.

Il nous parle d'ailleurs,

d'où il vient, lui!

Un peu d'animation dans nos longues nuitées.

-

Au petit matin, nos routes se séparent.

Je le suis un moment du regard,

puis nous grimpons vivement,

vers ailleurs...

-

Je  l'avais connu par hasard,

je disais qu'il était comme un cadeau

qui dure plus qu'un jour, une semaine, une saison...

-

J'avais offert sans compté,

et sans reprendre, donné.

-

J'y repensais,

en me serrant frileusement

contre mon berger

et nos chiens

-

J'avais reçu de ses nouvelles

avant de repartir

dans la montagne!

Là, je ne pouvais

communiquer qu'avec les étoiles,

le vent,

les vautours.

J'enfonçais mes doigts

rêveusement

dans une toison

celle du mouton

tout brun

qu'à ma demande,

on n'avait pas fait tondre.

-

Je chantais

comme une petite plainte

une ritournelle d'enfant

les larmes roulaient toutes seules,

mon Berger les essuyait

silencieusement

pas de questions

pas d'explications inutiles.

-

Tout à coup

Aheyâd dressa la tête

museau tendu vers l'extérieur

grogna

Mon Berger se leva

zébra  l'obscurité

d'un faisceau électrique

fouillant les abords bleutés

-

Il apparut,

levant instinctivement les mains

devant ses prunelles éblouies

je le reconnus, je souris

me levai, le saluai "Azul!"

le pris par la main

et l'invitai dans notre cercle étroit.

-

Au matin,

sans dire mot,

je détachai  mon voile de lin noir,

et le lui donnai

"Au revoir"

lui dis-je en français,

avant de disparaître avec mon Berger

sur le chemin qui monte.

J'avais un peu froid,

quelques perles brillaient

sur mes joues

mais déjà le soleil redorait mon front

et je lisais l'amour

dans le regard immense de mon époux.

-

Tahheyyât

 

(oui, sans doute, nous nous rencontrerons encore

...puisque la terre est ronde...)

 
fleurdatlas | 11/26/2005
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